Bovary

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ATTENTION à la lecture de ce qui suit !

L’histoire du pied bot d’Hippolyte est dure et peu angoisser parent et enfant.

Il s’agit d’une mauvaise opération d’un pied bot en 1830, qui finit par une amputation.

 

J’ai beaucoup hésité à conter cette histoire mais tout de même, il s’agit d’un classique de la littérature française.

Flaubert utilise l’opération ratée du pied bot d’Hippolyte pour révéler encore plus l’incapacité de Charles et plonger Emma dans le dédain de son mari et dans les bras de ses amants.

 

Ce récit est suivi d’un témoignage historique : l’histoire du docteur DUVAL.

P. DOLIVEUX qui raconte l’histoire a fait d’importantes recherches, jusqu’à trouver le livre à l’origine de la rédaction de ce chapitre par Flaubert.

Il faut apporter des réserves à ce témoignage historique.
Les résultats sont décrits après un délai très bref. Qu’en est il à long terme ? 1 an ? 3 ans ? 10 ans ???
Bien sûr il ne doit pas exister de publication, mais il faut relativiser le récit historique du docteur DUVAL car on sait à présent le gros risque de récidive du Pied Bot.

 

Je voudrais attirer votre attention sur deux points :

1. Hippolyte est présenté comme quelqu’un de simple,
Hippolyte est un garçon d’écurie, c’est un petit, un miséreux sur qui on essaie, dans l’espoir d’en tirer profit et gloire, une opération.
Il subit le rejet que subissaient tous ceux qui avaient une difformité.

2. Hippolyte allait très bien avant son opération
Il était chaussé avec une grosse chaussure.

 

« Mais avec ce pied (…) il galopait comme un cerf. Il semblait même plus vigoureux de cette jambe là que de l’autre à force d’avoir servi, elle avait contracté comme des qualités morales de patience et d’énergie, cette jambe ! »

En effet, avoir un PBVE n’a jamais empêcher de marcher, et Hippolyte s’était très bien accommodé de son infirmité.

Lorsque le docteur CANIVET vient prononcer l’amputation, devant le gachis il s’exprime ainsi :
« (…) nous sommes des praticiens, des guérisseurs, et nous n’imaginerions pas d’opérer quelqu’un qui se porte à merveille ! Redresser les pieds bots ? c’est comme si l’on voulait, par exemple, rendre droit un bossu ! »

 

L’histoire du pied bot d’Hippolyte (Emma Bovary, FLAUBERT)

L’action se passe vers 1830, sous Louis-Philippe, à une vingtaine de kilomètres à l’est de ROUEN, au pays de Bray, au village de Ry, que FLAUBERT a appelé YONVILLE L’ABBEYE.

Les acteurs

 

Charles BOVARY

officier de santé d’une trentaine d’années, récemment installé à YONVILLE avec sa jeune femme Emma.

Il doit créer une clientèle, et cela est difficile parce que l’officier de santé n’est pas vraiment un médecin. Il est en quelque sorte aide médical, à l’époque où sous Louis-Philippe, on manquait de médecins.

Hippolyte

garçon d’écurie de l’auberge du Lion d’Or. Il marche avec un pied bot équin unilatéral droit.

Notons que l’appellation d’Hippolyte par FLAUBERT est préméditée : Hippolyte est le fils de Thésée, roi d’Athènes, et d’une amazone. Le fils d’une amazone avec un pied de cheval, c’est une idée géniale de FLAUBERT.

Le pied est disgracieux, mais peu contraignant. Hippolyte porte une bottine ordinaire déformée par le pied bot.

Il fallait être très riche pour porter une chaussure orthopédique de 1,4 kilos comme celle du prince de Talleyrand « Le diable boiteux » qui meurt justement à ce moment là.

M. HOMMAIS

pharmacien de YONVILLLE, il incarne pour FLAUBERT la prétention, la bêtise et la passion de l’argent.
Pour son propre prestige, il suggère à Charles l’opération du pied bot d’Hippolyte : toute augmentation de la clientèle de Charles BOVARY lui rapportera bien quelque chose.

 

Emma BOVARY

caractère versatile et romantique, elle va décider son mari qu’elle imagine déjà considéré et riche.

 

M. DUVAL et son livre

HOMAIS a acquis ce livre qui vante un procédé opératoire pour guérir un pied bot, raconte FLAUBERT.
C’est là que Charles va acquérir les connaissances qui lui manquent pour guérir Hippolyte.

Après lectures attentives et répétées, Charles trouve le procédé simple, il accepte les suggestions de HOMAIS et les pressions d’Emma : il guérira le pied bot d’Hippolyte !

 

 

Le drame

Hippolyte (humilié par son pied bot) est convaincu par Charles, Emma et HOMMAIS de l’intérêt de se faire opérer : il ne boitera plus, il pourra enfin plaire aux femmes, l’intervention ne lui coûtera RIEN.
Charles BOVARY va suivre le plus précisément possible les informations du livre du docteur DUVAL qui conseille d’abord de faire un bon diagnostic entre les différents pieds bots.

« Hippolyte, dit FLAUBERT, avait un pied faisant avec la jambe une ligne presque droite, ce qui ne l’empêchait pas d’être tourné en dedans, de sorte que c’était un équin mêlé d’un peu de varus, ou bien un léger varus fortement accusé d’équin. »

« Mais avec cet équin, large en effet comme un pied de cheval, à peau rugueuse, à tendons secs, à orteils volumineux, et où les ongles noirs figuraient les clous d’un fer, le pied bot du matin jusqu’à la nuit galopait comme un cerf. Il semblait même plus vigoureux de cette jambe là que de l’autre à force d’avoir servi, elle avait contracté comme des qualités morales de patience et dénergie, cette jambe ! »

 

Toute cette formidable adaptation, dont le docteur DUVAL ne parlait pas du tout, n’étonnait nullement BOVARY qui était de toute façon décidé à opérer.

Il acheta donc un ténotome et fit venir l’attelle spéciale préconisée par le docteur DUVAL pour les pieds bots.
Le jour dit, le coeur palpitant, la main frémisante, l’intellect tendu, BOVARY approcha Hippolyte, son ténotome entre les doigts.
Il piqua la peau.

« On entendit un craquement sec. Le tendon était coupé, l’opération était finie. Hippolyte n’en revenait pas de surprise. Alors Charles BOVARY mit en place l’appareil du docteur DUVAL, bien fixé, bien bouclé, bien serré par les attaches et les sangles, et s’en retourna chez lui, RAVI. »

5 jours après (il était occupé à sillonner les routes de campagne), Charles BOVARY retourna auprès de son patient.

« La situation semblait changer ! »

D’abord le pauvre Hippolyte se tordait dans des douleurs atroces.
Ensuite l’ablation de l’appareil fit découvrir un spectacle affreux : les formes du pied disparaissent dans une telle bouffissure que la peau toute entière semblait près de se rompre, et elle était pleine d’ecchymoses occasionnées par la fameuse machine de DUVAL.
On laissa le membre libre quelques heures, mais à peine l’oedeme eût il un peu disparu, que Charles BOVARY jugea à propos de rétablir le membre dans l’appareil, en l’y serrant davantage pour accélérer les choses.

Ce n’est encore que trois jours plus tard, soit au huitième jour que, devant les cros d’Hippolyte qui commençait à émouvoir la population du village, on se décida à une nouvelle ablation de l’instrument de torture !

« Le membre parait alors livide, et des phlyctèmes s’écoule un liquide noir !
Transporté dans la salle de billard pour éloigner Hippolyte de la salle à manger de l’auberge (à cause de l’odeur !) : la grangrène gagnait de plus en plus, et l’invincible pourriture allait, montant des extrêmités vers le ventre. »

 

Il fallait faire quelque chose, et, à boût d’arguments, on fit venir en consultation d’urgence, le docteur CANIVET qui était une célébrité : devant la jambe gangrénée, il déclara tout net qu’il fallait amputer le malheureux Hippolyte.

« Ce fut, dans un village, un évènement considérable que cette amputation de cuisse par le docteur CANIVET.
Tous les habitants ce jour là s’étaient levés de meilleure heure. »

Le grand chirurgien arriva à vive allure dans son cabriolet.
Après avoir évoqué les exigences de son art et de son sacerdoce, il fit attacher Hippolyte sur le billard.

(alors) « au milieu du silence qui emplissait le village, un cri déchirant traversa l’air ».
Charles BOVARY resté chez lui avec sa femme, pâle à s’évanouir, pensait « Quelle mésaventure, quel désapointement, il avait pourtant pris toutes les précautions imaginables ! »
Peut être cependant s’était il trompé en quelque chose ?
Il cherchait, se remémorait tout le drame qu’il venait de vivre, il ne trouvait pas ! jusqu’au moment où soudain son incurable bêtise, il crût découvrir enfin la cause de son insuccès : « Mais c’était peut être un valgus ! »
Voilà la fin du drame du pied bot, et Hippolyte n’aura plus qu’à porter une jambe de bois.

 

Le docteur DUVAL

Revenons à la démonstration orthopédique extraordinaire du docteur DUVAL, qui n’était pas une fiction.
FLAUBERT en compulsant son livre a pu avoir toute la documentation nécessaire pour écrire le chapitre du pied bot avec un vrai talent de chirurgien orthopédiste.
Au musée de la médecine de ROUEN est gardé précieusement « le livre de DUVAL avec lequel FLAUBERT a travaillé le cas d’Hippolyte ».

La preuve en est de la première page signée V. DUVAL, adressée à son maître A.C. FLAUBERT qui est le père de Gustave FLAUBERT et qui est chirurgien à l’Hôtel Dieu à cette époque là.

Vincent DUVAL se présente :
– docteur en médecine,
– membre de plusieurs sociétés savantes, (mais on ne sait pas très bien lesquelles)
– Directeur des traitements orthopédiques des Hôpitaux Civils de PARIS (en 1839)
– et Directeur de la maison spéciale pour la cure des pieds bots et autres difformités des membres sur les Champs d’Elysées !

DUVAL donne le témoignage de son expérience, et nous sommes là très impressionnés par l’énorme série pour l’époque des 240 malades opérés d’octobre 1835 à mars 1839.

 

Le manuel opératoire

La ténotomie
– incision-ponction latérale interne, ce qui permet à coup sûr de couper le plantaire grêle.
– section d’avant en arrière pour éviter le paquet vasculo-nerveux interne, en maintenant une forte flexion dorsale du pied
– le craquement caractéristique témoigne de la bonne section
– notez que DUVAL préconise l’utilisation de son ténotome de poche, beaucoup plus commode dit il.

L’appareil de contention est une attelle tout à fait sophistiquée. On distingue bien la semelle de bois avec deux parties articulées, et, en arrière, deux platines d’acier maintiennent et serrent le calcanéum latéralement.
Sur le côté externe, un grand levier vertical monte au jarret et s’y fixe par une courroie.

Il y a trois articulations dans les trois plans de l’espace chacune animée par une vis sans fin tournée par un carré.
– L’articulation horizontale de la semelle règlera l’adduction de l’avant pied.
– L’articulation sagittale règlera l’équin.
– L’articulation frontale règlera le varus.

L’appareil est fixé par des couroies de cuir et des sangles nues, et quand aux matelassures de protection du calcanéum, elles paraissent bien illusoires.
Il n’y a aucune indication concernant le fabricant de l’attelle.
La mise en place et le réglage sont péremptoires :
– l’appareil est fixé aussitôt après la ténotomie dans la position du pied bot,
– au 3ème jour seulement, on commence la correction de l’équin, puis le varus progressivement,
– la durée du réglage est de 5 à 6 semaines pour l’adulte, et de 15 à 25 jours pour l’enfant.

76 opérations décrites sont fantastiques.
Il y a surtout l’iconographie avant et après dans les 76 cas. Mais il n’y a pas encore des photos à l’époque ! Les premiers daguerréotypes sont de 1840, et il faut attendre 1870 pour que Maddox en Angleterre exploite les pâques au gélatino bromure d’argent, véritable photographie moderne !

DUVAL a donc recours à un artiste, graveur sur bois, dont les images frappent l’imagination d’autant mieux que la gravure post-opératoire est améliorée, sans aucune pudeur, et nous le verrons bien dans les 10 observations choisies :
– Elisabeth Ravenel de Paris 29 ans
Enorme pied bot neurologique de convulsions
Opération très simple à laquelle assiste le docteur Aron Larrey, célèbre chirurgien de Napoléon 1er.
Redressement en 15 jours, guérison en 1 mois, fort brodequin.

– Honoré Durozey, 34 ans
Enorme varus d’un pied congénital, marche sur le bord externe du pied
C’est la marquise de Mervé qui assiste à l’opération
Guérison longue et douloureuse mais très bon résultat quand même

– Céline Stéphanie Martin, de Caudebec, 21 ans
Enorme pied bot nerveux mal traité par « l’appareil barbare d’un confrère »
Reprise et récupération difficiles
Redressement en 6 semaines parfait
Marche avec un brodequin ordinaire

– Alfonse Rémi, 28 ans
Pied difforme secondaire à une gastro-entérocéphalite
Opéré en présence du docteur Krauss de Berlin et du docteur Weiss de Copenhague
Redressement en 21 jours
Guérison totale en 2 mois avec une claudication hésitante due uniquement à l’irrégularité de longueur

 

Les enfants

– 6 mois, pied bot congénital, varus énorme
Redressement en 8 jours,
Guérison radicale en 1 mois, sans la moindre gêne de l’enfant, à son insu pour ainsi dire

– 2 ans, valgus énorme, pied neurologique
L’enfant marche sur le dos du pied
Redressement en 1 mois, guérison en 2 mois

– 10 ans, équin pur par rétractation des éléments postérieurs du mollet, séquelle d’un abcès gangréneux
Redressement en 3 semaines, guérison en 2 mois

– 7 ans et demi, varus équin congénital monstrueux
15 jours pour redresser, guérison en 1 mois

– 8 ans, cas bilatéral d’une déformation incroyable !
Guérison des 2 pieds en 2 mois

 

Pour faire moderne, DUVAL nous apporte alors deux statistiques :
1. la première statistique est toute simple : il n’existe pas de complications :
– ni paralysie,
– ni phlébite,
– ni hématome,
– 3 escharres superficielles sont vites guéries
Comment le croire alors que le ténotomie pliant passe sans aucune désinfection directement de la poche du chirurgien au contact du tendon, et je rappelle que l’ère listérienne et pasteurienne ne devra commencer efficacement qu’au début de notre siècle
– enfin bien sûr il n’y a aucune gangrène et aucune amputation

2. la deuxième statistique est résolument falsifiée,
On nous annonce 240 observations, et DUVAL nous en présente 76 avec 76 excellents résultants sans aucun échec.
Il manque malheureusement 164 observations, soit plus des deux tiers des malades opérés.

 

Pour en finir avec le livre historique de DUVAL, j’apporte une dernière citation de l’auteur :
« Je désire imposer aux gens de l’art comme aux gens du monde la conviction profonde sur l’innocence et l’infaillibilité de ma méthode. »

Et bien voilà, nous avons trouvé le principal responsable du drâme d’Hippolite, c’est le prétentieux DUVAL, et la bêtise et la négligence de Bovary vont précipiter les choses !

 

Remarque

Le roman de Bovary parait à la fin de 1856.
Dès janvier 1857, des poursuites judiciaires sont entamées contre « Madame Bovary », véritable délit d’outrage à la religion catholique romaine et délit d’outrage aux bonnes moeurs.

Flaubert est poursuivi pour sa philosophie insolente de l’adultère, son cynisme et son réalisme d’écriture scandaleuse.

Mais au cours du procès, il n’est fait mention à aucun moment de l’horrible histoire du pied bot d’Hippolite : le désastre médical honteux n’a pas du tout
heurté les sensibilités de l’époque…
et on restera bien longtemps sans parler du fameux pied bot.

 

P. DOLIVEUX

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